Michel Foucault

Né le 15 octobre 1926 à Poitiers et mort le 25 juin 1984 à Paris.

Philosophe, écrivain, psychologue, universitaire, titulaire d'une chaire au collège de France.

 

EXTRAITS (ref des publications en bas de page)


Surveiller et punir de Michel Foucault

S’il y a un enjeu politique d’ensemble autour de la prison, ce n’est ... pas de savoir si elle sera correctrice ou pas; si les juges, les psychiatres ou les sociologues y exerceront plus de pouvoir que les administrateurs et les surveillants... Le problème actuellement est plutôt dans la grande montée de ces dispositifs de normalisation et toute l’étendue des effets de pouvoir qu’ils portent, à travers la mise en place d’objectivités nouvelles. [...]

La prison ne peut pas manquer de fabriquer des délinquants. Elle en fabrique par le type d'existence qu'elle fait mener aux détenus : qu'on les isole dans les cellules, ou qu'on leur impose un travail inutile, pour lequel ils ne trouveront pas d'emploi, c'est de toute façon ne pas « songer à l'homme en société ; c'est créer une existence contre nature inutile et dangereuse » ; on veut que la prison éduque des détenus, mais un système d'éducation qui s'adresse à l'homme peut-il raisonnablement avoir pour objet d'agir contre le vœu de la nature ? La prison fabrique aussi des délinquants en imposant aux détenus des contraintes violentes ; elle est destinée à appliquer les lois, et à en enseigner le respect ; or tout son fonctionnement se déroule sur le mode de l'abus de pouvoir. Arbitraire de l'administration [...] Corruption, peur et incapacité des gardiens [...] Exploitation par un travail pénal, qui ne peut avoir dans ces conditions aucun caractère éducatif. [...]

De là, l’effet majeur du Panoptique : induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action ; que la perfection du pouvoir tende à rendre inutile l’actualité de son exercice ; que cet appareil architectural soit une machine à créer et à soutenir un rapport de pouvoir indépendant de celui qui l’exerce ; bref que les détenus soient pris dans une situation de pouvoir dont ils sont eux-mêmes les porteurs. Pour cela, c’est à la fois trop et trop peu que le prisonnier soit sans cesse observé par un surveillant : trop peu, car l’essentiel c’est qu’il se sache surveillé ; trop, parce qu’il n’a pas besoin de l’être effectivement. Pour cela Bentham a posé le principe que le pouvoir devait être visible et invérifiable. Visible : sans cesse le détenu aura devant les yeux la haute silhouette de la tour centrale d’où il est épié. Invérifiable : le détenu ne doit jamais savoir s’il est actuellement regardé ; mais il doit être sûr qu’il peut toujours l’être. [...]

Dans un système de discipline, l'enfant est plus individualisé que l'adulte, le malade l'est avant l'homme sain, le fou et le délinquant plutôt que le normal et le non-délinquant. C'est vers les premiers en tout cas que sont tournés dans notre civilisation tous les mécanismes individualisants ; et lorsqu'on veut individualiser l'adulte sain, normal et légaliste, c'est toujours désormais en lui demandant ce qu'il y a encore en lui d'enfant, de quelle folie secrète il est habité, quel crime fondamental il a voulu commettre. [...]

La prison apparaissait, d'une façon générale, comme marquée par les abus du pouvoir. Et beaucoup de cahiers de doléances la rejettent comme incompatible avec une bonne justice. Tantôt au nom de principes juridiques classiques : « Les prisons, dans l'intention de la loi, étant destinées non pas à punir mais à s'assurer de leurs personnes... » Tantôt au nom des effets de la prison qui punit ceux qui ne sont pas encore condamnés, qui communique et généralise le mal qu'elle devrait prévenir et qui va contre le principe de l'individualité des peines en sanctionnant toute une famille ; on dit que « la prison n'est pas une peine. L'humanité se soulève contre cette affreuse pensée que ce n'est pas une punition de priver un citoyen du plus précieux des biens, de le plonger ignominieusement dans le séjour du crime, de l'arracher à tout ce qu'il a de cher, de le précipiter peut-être dans la ruine et d'enlever non seulement à lui mais à sa malheureuse famille tous les moyens de subsistance ». [...]

La prison : une caserne un peu stricte, une école sans indulgence, un sombre atelier, mais, à la limite, rien de qualitativement différent. [...]

La surveillance policière fournit à la prison les infracteurs que celle-ci transforme en délinquants, cibles et auxiliaires des contrôles policiers qui renvoient régulièrement certains d’entre eux à la prison. [...]

La punition tendra donc à devenir la part la plus cachée du processus pénal. Ce qui entraîne plusieurs conséquences : elle quitte le domaine de la perception quasi quotidienne, pour passer dans celui de la conscience abstraite ; son efficacité, on la demande à sa fatalité, non à son intensité visible ; la certitude d'être puni, c'est cela, et non plus l'abominable théâtre, qui doit détourner du crime ; la mécanique exemplaire de la punition change ses rouages. [...]

Une chose est claire : la prison n'a pas été d'abord une privation de liberté à laquelle on aurait donné par la suite une fonction technique de correction ; elle a été dès le départ une "détention légale" de modification des individus que la privation de liberté permet de faire fonctionner dans le système légal. [..]

Il se peut que la guerre comme stratégie soit la continuation de la politique. Mais il ne faut pas oublier que la "politique" a été conçue comme la continuation sinon exactement et directement de la guerre, du moins du modèle militaire comme moyen fondamental pour prévenir le trouble civil. La politique, comme technique de la paix et de l’ordre intérieurs, a cherché à mettre en œuvre le dispositif de l’armée parfaite, de la masse disciplinée, de la troupe docile et utile, du régiment au camp et aux champs, à la manœuvre et à l’exercice. [..]

Les Mots et les choses de Michel Foucault

Le peintre est légèrement en retrait du tableau. Il jette un coup d’œil sur le modèle; peut-être s’agit-il d’ajouter une dernière touche, mais il se peut aussi que le premier trait encore n’ait pas été posé. Le bras qui tient le pinceau est replié sur la gauche, dans la direction de la palette; il est, pour un instant, immobile entre la toile et les couleurs. Cette main habile est suspendue au regard; et le regard, en retour, repose sur le geste arrêté. Entre la fine pointe du pinceau et l’acier du regard, le spectacle va libérer son volume.
Non sans un système subtil d’esquives. En prenant un peu de distance, le peintre s’est placé a côté de l’ouvrage auquel il travaille. C’est-à-dire que pour le spectateur qui actuellement le regarde, il est a droite de son tableau qui, lui, occupe toute l’extrême gauche. A ce même spectateur, le tableau tourne le dos: on ne peut en percevoir que l’envers, avec l’immense châssis qui le soutient. Le peintre, en revanche, est parfaitement visible dans toute sa stature; en tout cas, il n’est pas masqué par la haute toile qui, peut-être, va l’absorber tout à l’heure, lorsque, faisant un pas vers elle, il se remettra à son travail; sans doute vient-il, à l’instant même, d’apparaître aux yeux du spectateur, surgissant de cette sorte de grande cage virtuelle que projette vers l’ arrière la surface qu’il est en train de peindre. On peut le voir maintenant, en un instant d’arrêt, au centre neutre de cette oscillation. Sa taille sombre, son visage clair sont mitoyens du visible et de l’invisible : sortant de cette toile qui nous échappe, il émerge à nos yeux; mais lorsque bientôt il fera un pas vers la droite, en se dérobant a nos regards, il se trouvera place juste en face de la toile qu’il est en train de peindre; il entrera dans cette région ou son tableau, négligé un instant, va, pour lui, redevenir visible sans ombre ni réticence. Comme si le peintre ne pouvait a la fois être vu sur le tableau ou il est représente et voir celui où il s’emploie à représenter quelque chose. Il règne au seuil de ces deux visibilités incompatibles. [...]

Le signe n'attend pas silencieusement la venue de celui qui peut le reconnaître : il ne se constitue jamais que par un acte de connaissance. [...]

L'objet des sciences humaines, ce n'est donc pas le langage (parlé pourtant par les seuls hommes), c'est cet être qui, de l'intérieur du langage par lequel il est entouré, se représente, en parlant, le sens des mots ou des propositions qu'il énonce, et se donne finalement la représentation du langage lui-même. [..]


Dits et Ecrits, tome 2 : 1976 - 1988 de Michel Foucault

La connaissance ne constitue pas le plus ancien instinct de l’homme ou, inversement, il n’y a pas dans le comportement humain, dans l’appétit humain, dans l’instinct humain quelque chose comme un germe de connaissance. En fait, la connaissance a un rapport aux instincts, mais ne peut pas être présente en eux, et pas même être un instinct parmi les autres. La connaissance est simplement le résultat du jeu, de l’affrontement, de la jonction, de la lutte et du compromis entre les instincts. C’est parce que les instincts se rencontrent, se battent et arrivent finalement, à la fin de leurs batailles, à un compromis que quelque chose se produit. Ce quelque chose est la connaissance. [...]

Ce livre a son lieu de naissance dans un texte de Borges. Dans le rire qui secoue à sa lecture toutes les familiarités de la pensée - de la nôtre: de celle qui a notre âge et notre géographie -, ébranlant toutes les surfaces ordonnées et tous les plans qui assagissent pour nous le foisonnement des êtres, faisant vaciller et inquiétant pour longtemps notre pratique millénaire du Même et de l'Autre. [...]


Histoire de la folie à l'âge classique de Michel Foucault

Par la folie qui l'interrompt, une œuvre ouvre un vide, un temps de silence, une question sans réponse, elle provoque un déchirement sans réconciliation où le monde est bien contraint de s'interroger. [...]

Jamais la psychologie ne pourra dire sur la folie la vérité, puisque c'est la folie qui détient la vérité de la psychologie [...]

Maladie mentale et psychologie de Michel Foucault

"Un psychasthénique ne parvient pas à croire à la réalité de ce qui l'entoure; c'est une conduite, pour lui, "trop difficile". Qu'est-ce qu'une conduite difficile? Essentiellement une conduite dans laquelle une analyse verticale montre la superposition de plusieurs conduites simultanées. Tuer un gibier à la chasse est une conduite; raconter, après coup, qu'on a tué un gibier, est une autre conduite. Mais au moment où l'on guette, où l'on tue, se raconter à soi-même que l'on tue, que l'on poursuit, que l'on guette, pour pouvoir en faire aux autres, par la suite, l'épopée; avoir simultanément la conduite réelle de la chasse et la conduite virtuelle du récit, c'est là une opération double, beaucoup plus compliquée que chacune des deux autres, et qui n'est qu'en apparence la plus simple: c'est la conduite du présent, germe de toutes les conduites temporelles, où se superposent et s'imbriquent le geste actuel et la conscience que ce geste aura un avenir, c'est-à-dire que plus tard on pourra le raconter comme un événement passé. On peut donc mesurer la difficulté d'une action au nombre de conduites élémentaires qu'implique l'unité de son déroulement.
Prenons à son tour cette conduite du "recit aux autres", dont la virtualité fait partie des conduites du présent. Raconter, ou plus simplement parler, ou d'une façon plus élémentaire encore, jeter un ordre n'est pas non plus quelque chose de simple; c'est d'abord se référer à un événement ou à un ordre de choses, ou à un monde auquel je n'ai pas accès moi-même, mais auquel autrui peut avoir accès à ma place; il faut donc reconnaître le point de vue d'autrui, et l'intégrer au mien; il me faut donc doubler ma propre action (l'ordre lancé) d'une conduite virtuelle, celle d'autrui qui doit l'exécuter. Plus encore: lancer un ordre suppose toujours l'oreille qui le percevra, l'intelligence qui le comprendra, le corp qui l'exécutera; dans l'action de commander est impliquée la virtualité d'être obéi. C'est dire que ces conduites apparemment si simples que sont l'attention au présent, le récit, la parole impliquent toutes unes certaine dualité, qui est au fond la dualité de toutes les conduites sociales. Si donc le spychasthénique trouve si ardue l'attention au présent, c'est par les implications sociales qu'obscurément elle enferme; sont devenues difficiles pour lui toutes ces actions qui ont un envers (regarder-être regardé, dans la présence; parler-être parlé, dans le langage; croire-être cru, dans le récit) parce que ce sont des conduites qui se déploient dans un horizon social. Il a fallu toute une évolution sociale pour que le dialogue devienne un mode de rapport interhumain; il n'a été rendu possible que par le passage d'une société immobile dans sa hiérarchie du moment, qui n'autorise que le mot d'ordre, à une société où l'égalité des rapports permet et garantit l'échange virtuel, la fidélité au passé, l'engagement de l'avenir, la réciprocité des points de vue. C'est toute cette évolution sociale que remonte le malade incapable de dialogue."

 

Cours au Collège de France

La Volonté de savoir (1970-1971)
Théories et institutions pénales (1971-1972) - inédit
La Société punitive (1972-1973) - inédit
Le Pouvoir psychiatrique (1973-1974)
Les Anormaux (1974-1975)
Il faut défendre la société (1975-1976)
Sécurité, territoire et population (1977-1978)
Naissance de la biopolitique (1978-1979)
Du Gouvernement des vivants (1979-1980)
Subjectivité et vérité (1980-1981) - inédit
L'Herméneutique du sujet (1981-1982)
Le Gouvernement de soi et des autres (1982-1983)
Le Gouvernement de soi et des autres: le courage de la vérité (1983-1984)

Transcriptions des cours du Collège de France

1970-1971 : Leçons sur la volonté de savoir, Paris, Gallimard, 2011
1973-1974 : Le Pouvoir psychiatrique, Paris, Gallimard, 2003
1974-1975 : Les Anormaux, Paris, Gallimard, 1999
1975-1976 : « Il faut défendre la société », Paris, Gallimard, 1997
1977-1978 : Sécurité, territoire, population, Paris, Gallimard, 2004
1978-1979 : Naissance de la biopolitique, Paris, Gallimard, 2004
1979-1980 : Du gouvernement des vivants, Paris, Seuil, 2012
1981-1982 : L'Herméneutique du sujet, Paris, Gallimard, 2001
1982-1983 : Le Gouvernement de soi et des autres I, Paris, Gallimard, 200
1983-1984 : Le Gouvernement de soi et des autres II : Le Courage de la vérité, Paris, Gallimard, 2009

Publications

Maladie mentale et personnalité, Paris, PUF
Maladie mentale et psychologie, Paris, PUF
Folie et Déraison. Histoire de la folie à l'âge Classique, Paris, Librairie Plon
Histoire de la folie à l'âge classique, Paris, U.G.E., coll. « 10/18 »
Histoire de la folie à l'âge classique. Folie et déraison, Paris, Gallimard
Naissance de la clinique. Une archéologie du regard médical, Paris, PUF
Raymond Roussel, Paris, Gallimard, 1963
Les Mots et les Choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard
La Pensée du dehors, Paris, Fata Morgana
L'Archéologie du savoir, Paris, Gallimard
Sept propos sur le septième ange, Paris, Fata Morgana
L'Ordre du discours, Paris, Gallimard
Ceci n'est pas une pipe, Fontfroide-le-Haut, Fata Morgana
Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard
Histoire de la sexualité, vol. 1 : La volonté de savoir, Paris, Gallimard
Histoire de la sexualité, vol. 2 : L'usage des plaisirs, Paris, Gallimard
Histoire de la sexualité, vol. 3 : Le souci de soi, Paris, Gallimard
Dits et Écrits, vol. 1 : 1954-1975, Paris, Gallimard
Dits et Écrits, vol. 2 : 1976-1988, Paris, Gallimard

Sites :
http://portail-michel-foucault.org/
http://www.college-de-france.fr/site/professeurs-disparus/michel_foucault.htm#|p=../professeurs-disparus/michel_foucault.htm|
http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Foucault/120008

Discussion Michel Foucault et Noam Chomsky https://www.youtube.com/watch?v=veR8GOcrFOg

▲ Haut ▲ Retour